Un peu d'histoire...
LES ORIGINES
Jigoro Kano est un jeune provincial au physique fragile, mais au caractère fort quand il arrive en 1871 à Tokyo - il a onze ans - pour suivre une scolarité à la hauteur de son exceptionnel potentiel intellectuel. Ce fils de brasseur est l’enfant brillant d’un Japon qui vient de passer dans l’ère moderne (1876) et qui s’occidentalise rapidement, rejetant ses fondamentaux traditionnels dans l’ombre. Mais s'il pratique assidûment les sports occidentaux, notamment le baseball, c’est dans les ruelles qu’il cherche les vieux maîtres du ju-jutsu qui vont lui permettre de devenir fort.
LE JU-JUTSU ?
Un art de combat à mains nues, produit de la longue histoire guerrière du Japon. Quand cessent les guerres civiles sous la poigne de fer des Tokugawa, les champs de bataille sont progressivement désertés. Le pouvoir qui pacifie le Japon à cette époque, a le résultat paradoxal de mettre les soldats au chômage. Les écoles enseignant des techniques à mains nues se développent alors, aussi bien dans la classe des guerriers que dans les couches populaires de la société. Ces techniques de contrôle, de frappe, de projection, employées pour la défense personnelle dans la vie quotidienne furent regroupées sous le terme générique de ju-jutsu, de jutsu « système, méthode, ensemble techniques » et de Ju « adaptation, fluidité, en souplesse ».
POURQUOI CE « JU » ?
Parce que, sous l’influence chinoise notamment, les samouraïs japonais avaient perçu l’intérêt d’explorer l’autre face de la force (« Go », en japonais), l’art plus élaboré de l’esquive, du déséquilibre, de la technique en finesse et que c’était globalement l’idée générale qui était à la source de ces différentes écoles.
L’origine légendaire de cet art est la suivante : le médecin Akiyama Shirobei se rendit en Chine pour apprendre l’art de soigner en même temps qu’un art de combat. De retour au Japon, il les enseigna, mais demeurait insatisfait. Il se retira alors dans l’île de Kyushu pour méditer pendant cent jours. Un matin d’hiver, alors qu’il descendait à la rivière après une forte chute de neige, il vit les branches d’un saule pliées par le poids de la neige se redresser soudain en chassant la neige d’un coup. Autour, des arbres fruitiers, moins souples, avaient perdu certaines de leurs plus grosses branches, brisées par la pression. Ce fut la révélation. Il retourna vers l’enseignement, fondant l’ « École du cœur du saule », la yoshin-ryu, tâchant de retrouver dans le combat ce principe de la flexibilité du saule, esquivant la force pour mieux la retourner.
Ces techniques traditionnelles furent transmises par de très nombreuses écoles avec leurs lignées de maîtres, leurs secrets, leurs caractéristiques particulières. Elles consistaient en frappes diverses, contrôles articulaires, étranglements, immobilisations et projections. Tombé en désuétude à la fin du dix-neuvième siècle où la caste des samouraïs vient juste d’être dissoute, le ju-jutsu n’est plus guère enseigné, les écoles disparaissent. Mais Jigoro Kano s’y intéresse avec la passion de sa jeunesse, pour devenir fort, pour faire face à la brutalité de ses camarades de la petite noblesse dans les écoles d’élite qu’il fréquente. À partir de 1877, il pratique assidument le ju-jutsu de l’école Tenjin Shin’yo Ryu, plutôt spécialisée dans les contrôles articulaires, sous la direction de Fukuda Hachinosuke, lequel meurt deux ans plus tard et lègue la direction du dojo et ses documents au jeune Kano. Celui-ci poursuit son entraînement sous la maîtrise d’Iso Masatomo, qui décède en 1881. Il fréquente alors le dojo de Likubo Konen, expert de la Kito-Ryu qui lui donne lui aussi l’autorisation d’enseigner et les documents de l’Ecole (Menkyo Kaiden) en 1883. Jigoro Kano continuera à aller voir son dernier maître jusqu’en 1888, date de sa mort. Mais en 1882, à 21 ans, il fonde sa propre école de Ju-jutsu, qu’il appelle Kodokan Judo.
Le principe Ju expliqué par Jigoro Kano Voici comment Jigoro Kano décrivit le principe Ju dans un discours à l’Université de Californie en 1932
« Voyons maintenant ce que c'est que cette souplesse ou cet art de céder "JU". Supposons que nous estimions la force d'un homme en unités. Admettons que la force de l'homme qui est en face soit représentée par dix unités, tandis que ma force, moindre que la sienne, soit représentée par sept unités. Dans ces conditions, s'il me pousse de toute sa force, je serai certainement poussé en arrière ou jeté au sol, même si je me sers de toute ma vigueur contre lui. Cela arriverait parce que je me serais servi de toute ma force contre lui, alors que si je cède à sa force en retirant mon corps juste avant qu'il ait poussé et en prenant soin en même temps de garder mon équilibre, il sera forcé de se pencher en avant et de perdre ainsi son équilibre.
Dans cette nouvelle position, il peut être devenu si faible (non pas en force physique, mais à cause de sa position gênante) que sa force se trouve représentée à ce moment, disons par trois unités au lieu de dix unités normales. Mais pendant ce temps, moi-même, en gardant mon équilibre, j'ai conservé toute ma force qui était primitivement représentée par sept unités et me trouve donc momentanément dans une position avantageuse et je peux triompher de mon adversaire en me servant seulement de la moitié de mes forces, soit trois unités et demie contre ses trois unités. Cela laisse à ma disposition la moitié de mes forces en cas de besoin. Si j'avais une force supérieure à celle de mon adversaire, j'aurais pu naturellement le repousser, même dans ce cas, c'est-à-dire, si j'avais voulu le repousser et si j'avais eu le pouvoir de le faire, il aurait tout de même mieux valu céder d'abord, parce qu'en procédant ainsi j'aurais grandement économisé mon énergie. »
Ce principe JU est encore aujourd’hui le socle de la pratique du judo moderne, celui qu’il convient de rechercher au club et qui continue à exprimer, depuis le fond des âges, toute son efficacité dans les compétitions du judo sportif. Source : www.ilosport.fr